L’avantage de vivre dans cette maison est que l’on peut avoir de longues discussions avec Suvarta et sa sœur Priyana!
Suvarta est une jeune fille de 24 ans qui vient du bidonville de Malad où nous travaillons. Elle a apparemment toujours eu la volonté de réussir et de continuer à étudier le plus longtemps possible. Depuis toute petite alors qu’elle devait faire des petits boulots après l’école pour pouvoir aider financièrement sa famille, elle a toujours trouvé le temps d’étudier et de faire ses devoirs. Étant l’une des plus motivées et à l’avenir le plus prometteur elle a eu l’occasion de venir vivre chez Pierre. Aidée financièrement par l’association et hébergée par Pierre elle a donc pu étudier dans de bonnes conditions et s’apprête à rentrer en dernière année de Master en Social Studies (équivalent d’études dans le social). Venant elle-même d’un bidonville, ayant connu les difficultés sociales et ayant eu la chance d’étudier elle veut à présent aider les autres. Elle se rend donc régulièrement dans les villages où la vie diffère totalement de celle de Bombay et où les différences sont accrues et les conditions de vie plus que difficiles.
Au fil des discutions elle nous aide à comprendre ce pays qu’on visite et elle nous explique comment ça se passe ici.
L’inde est une puissance économique émergente où beaucoup d’argent circule. La croissance économique est fulgurante et des fortunes se créent jour après jour. On pourrait donc supposer qu’avec cette ouverture sur le monde les esprits évoluent et les mœurs changent mais malgré cela de nombreuses inégalités demeurent. La corruption continue de sévir et les différences persistent.
L’inde est un pays où de nombreuses religions cohabitent : hindous, bouddhistes, musulmans, protestants, chrétiens…
C’est pays où les castes existent toujours (et ce malgré une loi du gouvernement mais on continue à demander la caste des gens pour les inscriptions scolaires etc… donc une loi uniquement destiné à rassurer le reste du monde ???). Votre caste définit si vous venez d’une communauté riche ou d’une communauté pauvre. Mais vous pouvez tout à fait venir d’une caste pauvre et être riche (médecin, avocat, buisness man…). Le seul moyen de changer de caste est de changer de religion. En devenant protestant par exemple on peut accéder à une caste supérieure.
Par contre les castes et les religions ne se mélangent pas. Ils cohabitent mais hors de question que des personnes de religion ou de caste différentes puissent se marier !
Deux exemples concrets de crime d’honneur (oui ici ça existe encore !)
– Un garçon et une fille de deux villages différents s’enfuient à Bombay pour se marier. Ils font l’erreur après un certain temps de retourner au village et finissent lapidés.
– Un garçon de 16/17 ans est amoureux d’une fille d’une caste supérieure à la sienne. La famille de la fille l’apprend et donc tue ce jeune homme. (ça s’est passé la semaine dernière).
La religion occupe une place très importante dans la vie des Indiens. Malheureusement la plupart du temps ils confondent culture et religion en prétextant que certaines mœurs sont du à la religion alors que ce sont uniquement des coutumes indiennes (depuis quand chez les protestants il est important de se marier avant 25 ans par exemple ?). Bref la religion sert de prétexte à beaucoup de choses. Par contre dans leurs religions (contrairement à chez nous) on n’entend jamais parler d’amour, de respect (sauf envers la famille et le père qu’il faut respecter), de tolérance … des principes qui sont pourtant la base de bon nombre de religions.
Lorsqu’on parle avec certains indiens ils nous disent qu’en Europe nous ne respectons rien. Nous sommes de moins en moins de croyants et de pratiquants et nous ne respectons donc pas nos familles. Cette image qu’ils ont des « blancs » nous a beaucoup surpris venant de quelqu’un qui marie sa fille de force et choisit son gendre en fonction de critères financiers. Que l’on puisse donner notre avis, faire nos propres choix et aller à l’encontre de l’opinion de nos parents est pour eux un manque de respect. Nous n’appelons pas ça manque de respect mais liberté (d’expression). Nous constatons donc que notre idée de la religion et son interprétation est totalement différente.
Le statut de la femme en Inde est plus que déplorable. Les filles sont considérées comme des boulets par les familles (surtout par les hommes, il faut bien le reconnaitre). Elles obligent les parents à économiser pendant des années afin de pouvoir apporter une bonne dote le jour du mariage. Elles sont donc c’est un poids financier et lorsqu’elles se marient elles partent vivre dans la famille du mari. Elles ne rapporteront plus d’argent et ne pourront même plus s’occuper de leurs parents lorsqu’ils seront âgés. Il n’y a donc aucun intérêt à éduquer les filles. Une expression ici dit qu’éduquer sa fille c’est un peu comme labourer le champ du voisin. Belle comparaison !
Dans tous les cas la fille sera donc une charge dont ils ne pourront tirer aucun bénéfice. Quant au fils ainé c’est en lui que les parents mettront tous les espoirs car c’est à lui que reviendra la charge de s’occuper de ses parents lorsque ceux-ci seront vieux. Il est donc contraint à habiter avec ses parents toute sa vie. Quant à l’heureuse élue qui aura la chance d’épouser un fils ainé elle sait qu’elle habitera toute sa vie avec sa belle famille.
Depuis quelques années on interdit aux parents de connaitre le sexe de l’enfant avant la naissance. Le nombre d’infanticide envers les filles était tellement grand que l’Etat a du mettre cette loi en application.
Ici le mariage arrangé est toujours en vigueur et est à mon avis le problème majeur de ce pays. Même si on nous dit à la télé que c’est de moins en moins pratiqué, c’est peut être le cas dans la haute bourgeoisie mais pour 90% de la population c’est toujours comme ça que ça se passe. Imaginez le casse tête que c’est de trouver un mari ou une femme dans ce pays !
Il doit avoir une bonne situation (plus ou moins équivalente à celle de la fille. Enfin toujours meilleure car on n’épouse pas une fille qui a un meilleur niveau d’étude ou un meilleur job que l’homme…question d’honneur !), il doit être de la même religion et de la même caste. Il doit être proposé par un membre de la famille pour être certain que c’est une bonne personne et….c’est déjà pas mal !
Pour les garçons comme pour les filles c’est quasiment impossible de choisir son futur mari ou sa future femme. C’est une histoire de famille et plus que tout d’argent. Contrairement à ce qui fait le mariage chez nous, ici l’amour n’est pas pris en considération. Il n’en n’est même aucunement question (à part dans les centaines de feuilletons du genre feux de l’amour que les filles regardent à longueur de temps faits uniquement d’histoires d’amour tragiques, de tromperies, de trahisons et d’amours impossibles).
La famille de la fille doit également apporter une dote (normalement interdite par la loi mais impossible à vérifier donc ça continue). Suvarta nous explique que lorsqu’elle devra se marier elle devra apporter tout les meubles et l’électroménager dont ils auront besoin mais aussi le linge de maison et les vêtements (à supposer qu’ils puissent avoir un logement à eux et non pas vivre avec la famille du garçon – ce que redoute le plus Suvarta mais qui arrivera probablement).
Suvarta nous explique que cette situation lui pèse énormément mais que dans ce malheur elle a tout de même de la chance. Elle fait des études donc elle gagne quelques années et sa famille n’a pas d’argent pour sa dote car seule sa mère travaille pour subvenir aux besoins de 4 personnes (son père a arrêté de travailler il y a bon nombre d’années et se porte bien mieux en restant à ne rien faire à la maison). Après ses études elle va donc devoir travailler pendant quelques années afin de pouvoir réunir l’argent nécessaire à son mariage. Elle gagne de ce fait encore quelques années mais sa famille commence déjà malgré tout à se renseigner pour un éventuel futur gendre car à 24 ans il devient urgent pour elle de se marier. Elle devra donc peut être se marier puis rembourser sa dote après le mariage.
Un handicap de plus pour Suvarta est qu’elle a la peau beaucoup plus foncée que sa sœur. Ici la peau claire est un critère de beauté important. Elle aura donc beaucoup plus de mal à se trouver un mari et devra payer une plus grosse dote. Sa famille lui répète également depuis sa plus tendre enfance que sa sœur aura plus de chance de faire un bon mariage qu’elle grâce à sa peau plus claire. D’ailleurs lorsque Suvarta rencontrera son futur gendre et sa famille ils cacheront sa sœur sinon les parents ne voudront plus que leur fils épouse Suvarta mais plutôt sa sœur Priyanka. Allez savoir pourquoi, ici, les filles font tout pour s’éclaircir la peau et avoir le teint le plus pale possible et chez nous les femmes font des UV et passent des heures au soleil afin de la foncer ???
Quand je parle avec Suvarta, sa sœur ou d’autres filles du bidonville toutes me disent que j’ai de la chance de ne pas être mariée. Qu’elles préfèreraient rester seules et qu’elles espèrent se marier le plus tard possible. Que j’ai de la chance car David fait à manger, met la table, débarasse, fait la vaisselle et qu’ici ça serait inenvisageable (haha …David serait-il l’homme parfait ? Aux yeux des Indiennes c’est certain !).
Le mariage est le thème principal et en même temps le plus grand sujet d’inquiétude des jeunes filles. Le futur époux est proposé par les oncles, parents ou amis proches de la famille. Les futurs époux n’ont le droit de se rencontrer qu’une ou deux fois avant le mariage. Si vraiment ça ne colle pas et que ce rendez-vous se passe mal ils ont le droit de donner leur avis et de refuser cette personne mais à mon avis on ne doit pas leur en présenter 50 vu la difficulté à trouver quelqu’un de sa caste, de sa religion et du même statut social !
On a donc demandé à Suvarta comment il était possible qu’après tant de génération de couples malheureux les parents continuent malgré tout à répéter ce système avec leurs enfants. Elle a dit connaitre des familles où les parents ont accepté que leurs enfants se marient avec quelqu’un d’une religion ou une caste différente de la leur et au final ce sont les parents qui se sont vus reniés par la famille et rejetés par tous leurs amis et leur communauté. Alors faute de pression sociale trop élevée et regard des autres trop important ils continuent à perpétuer cette tradition. Les parents préfèrent donc « vendre » leurs enfants (car ici le mariage est une histoire d’argent uniquement) au sacrifice de leur bonheur et de leur bien être juste pour paraitre bien aux yeux des autres et ne pas être critiqués. Ca nous parait tellement loin de notre mode de pensée. Dans notre société combien de parents se sacrifieraient pour le bonheur de leurs enfants ?
Avec notre mentalité occidentale on se dit mais mince, rebellez vous les jeunes ! Dites merde à vos parents, trouvez un job, économisez puis prenez vos clic et vos clacs et cassez vous ! Mais bon apparemment ici ça ne fonctionne pas comme ça … il faut respecter les parents.
Des milliers de personnes se retrouvent donc mariés à quelqu’un qu’ils ne connaissent pas, qu’ils n’aiment pas, les filles doivent vivre avec la belle famille la plupart du temps sans aucune intimité et tout ça pour une histoire d’argent et d’apparence. Ca nous dépasse totalement.
Durant ces 15 jours à Bombay ce qui nous inquiétait le plus était le choc qu’on risquait d’avoir en travaillant dans le bidonville. Au final cette partie aura été la meilleure de notre séjour à Bombay. Ce qui nous a par contre choqué c’est d’en apprendre tant sur cette culture machiste et patriarcale qui dénigre la femme en suivant des principes moyenâgeux.
Mes propos choqueront peut être certains d’entre vous mais le vrai choc a été pour nous de voir les conditions de vie de ces filles et la mentalité des hommes. Les hommes ici sont tellement fiers, sont tout puissants et ont une image de la femme (indienne ou occidentale) déplorable. La femme indienne est bonne a rester à la maison s’occuper des enfants, faire à manger, à tenir la maison et aller chercher l’eau au puits (toutes les corvées hyper sympa !). Aucune galanterie n’est d’usage ici. Un homme peut voir une femme ou fille porter des charges de provisions ou d’eau il n’ira certainement pas l’aider à porter (chose constaté lorsque les filles revenaient des courses de rentrée et avaient des sacs pleins à craquer qu’elles portaient péniblement à bout de bras sous le regard impassible des hommes les regardant passer sans bouger).
Quant aux femmes occidentales elles sont le symbole de la dépravation et de la luxure. La chose qu’on trouve la plus gênante en Inde est le regard des hommes. Ils vous dévisagent des pieds à la tête et peuvent vous fixer pendant plusieurs minutes fixement sans aucune gène. Imaginez vous dans le train fixé par 5/10/15… personnes pendant de longues minutes. Vous avez juste envie de disparaitre, de vous cacher ou de leur hurler dessus. Idem dans la rue. Il n’y a que dans le bidonville où nous nous sentions vraiment bien. Ils étaient habitués à voir des blancs, ils savaient qu’on venait pour aider. Les hommes étaient très courtois, les femmes souriantes et reconnaissantes du temps que l’on passait avec leurs filles et les enfants nous faisaient la fête à chaque fois que l’on arrivait.
Cette expérience au sein du bidonville mais surtout au sein d’un foyer avec des indiennes aura été extrêmement enrichissante. Nous avons passé de super moments avec les fillettes et avons appris énormément sur la culture indienne avec Suvarta et sa sœur Pryianka. Malheureusement ce que nous en avons appris ne nous aura pas donné une bonne image du pays. Cette mentalité et la culture indienne est beaucoup trop différente de la notre pour que nous arrivions vraiment à comprendre et à accepter ce qui se passe ici. Au quotidien nous avons pu voir à quel point il est difficile d’être une fille en Inde. Nous admirons le courage de Suvarta et de Priyanka. Ces deux filles sorties des bidonvilles et pour qui le fait d’étudier est un moyen à long terme de changer l’avenir des filles Indiennes. Elles ont accepté leur destin qui les voue à un mariage arrangé mais elles espèrent s’assumer en travaillant et changer le destin de leurs futurs enfants en leur laissant le choix qu’elles même ne pourront avoir. Ainsi il faut espérer qu’au fil des générations et avec beaucoup de temps les choses changeront et les femmes Indiennes arriveront à s’imposer dans cette société de l’homme roi.
Nous partons donc de Bombay avec de bons souvenirs du temps passé avec les fillettes. La rencontre avec Pierre, Suvarta et Priyanka aura été l’une des meilleure du voyage. Et bien que choquant, ce que nous avons appris ici nous fait réfléchir à la chance que nous avons d’avoir pu grandir dans un pays comme la France.
Après cette première étape nous quittons Bombay afin de passer 15 jours à visiter le Radjasthan, les palais des Maharadjas… et espérons pouvoir faire un peu abstraction de tout ce que nous avons appris sur la culture indienne afin de pouvoir profiter au mieux de la fin du voyage…